Des sinistres geôles
saint-gilloises à la prison humaine de Tournai, Rudy
Vandorpe témoigne de l’évolution du milieu carcéral.
À
65 ans, le Cominois Rudy Vandorpe vient d’achever une carrière de
42 ans et 4 mois comme gardien de prison. Un métier méconnu qu’il
a pourtant apprécié pour ses côtés humains, malgré son
indignation face à un système destructeur, surtout en début de
carrière.
Il
y a une dizaine d’années, il entreprend d’écrire ce qu’il
ressent, compilant ses mémoires: «Tant que j’étais en
fonction, en accord avec ma hiérarchie, je n’ai rien publié. En
retraite depuis le 1er juin 2017, je voulais que mon témoignage soit
lu. J’ai contacté Jean Milleville, que j’avais rencontré dans
le cadre d’activités en haltérophilie et je lui ai demandé de
relire mes notes.»
Tout
débute le 27 janvier 1975, à la prison de Saint-Gilles: «On
n’est pas vraiment préparé à découvrir la déchéance humaine,
surtout à 22 ans. J’avais choisi ce métier un peu par hasard.
Après avoir appris la mécanique à Saint-Joseph, j’ai travaillé
sept ans à l’usine, en France. Je voulais devenir fonctionnaire et
j’ai réussi plusieurs examens avant d’opter pour un emploi de
surveillant de prison.»
À
Saint-Gilles, les premières années sont difficiles. «La
dignité humaine était foulée aux pieds. Les rats et les cafards se
baladaient dans les cuisines. Je me suis accroché pour ne pas
démissionner…»
Le
1er février 1978, il est muté à la prison de Tournai. «De
suite, j’ai été accueilli dans une grande famille, avec une
approche humaine. Dans les années 80, nous avons pu travailler dans
de meilleures conditions. En 2001, j’ai vu apparaître la première
femme gardienne de prison. Nous avions cru que la féminisation
engendrerait une diminution de l’autorité; c’est plutôt le
contraire qui s’est passé. Les hommes, entre eux, développent un
rapport de force. Pas les femmes. Il y a eu davantage de respect. Le
seul souci provient des extrémistes musulmans, qui n’apprécient
pas le commandement d’une femme. Il faut les remettre en place.»
Il
a terminé sa carrière comme premier chef d’équipe des
travailleurs: «Ils se rendent utiles dans les cuisines, pour
le nettoyage, etc. Mon service gérait entre 35 et 40 détenus,
encadrés par une dizaine de gardiens. J’appréciais ce rôle
d’assistant social et de psychologue, en gardant les prérogatives
de l’agent pénitentiaire.»
La
plume alerte de Rudy Vandorpe permet de dévorer les 62 pages d’un
livre truffé de péripéties carcérales, des tentatives d’évasion,
de rébellions, etc., même si l’agent pénitentiaire a toujours
prôné les valeurs humaines. «J’essayais de créer un
climat de respect mutuel entre les hommes et le personnel. La justice
fait son travail, moi j’ai fait le mien, sans émettre le moindre
jugement. La prison doit servir à améliorer, à corriger, à faire
réfléchir; et, il y a tellement plus à réaliser que ce que l’on
fait! Le monde politique ne s’intéresse pas vraiment à ce qui se
passe derrière les barreaux, d’autant plus que les prisonniers,
déchus de leurs droits civiques, ne votent plus. Il faudrait
investir davantage et offrir une seconde chance quand ils sortent…»
- Marie-France PHILIPPO - L'Avenir
-
Le
«vieux dinosaure» comme l’appelaient affectueusement ses
collègues tire un bilan positif de sa carrière: «J’étais le
plus vieil agent de la région!
Si je devais recommencer, je ferais le même choix. J’ai eu l’impression d’être utile à la société.»Voilà sans doute la genèse du livre: «Les prisonniers écrivent sur les conditions carcérales, jamais les gardiens. Je voulais pallier le manque. J’ai pas mal hésité sur le titre: “ Ma vie au pénitencier ”: «La réflexion a été menée en compagnie de mon correcteur. Ma vie, cela implique du vécu. Je ne voulais pas utiliser le mot «prison», qui sous-entend l’enfermement. Je préfère «pénitencier», avec l’idée de rédemption. Voilà pourquoi il faudrait engager davantage d’éducateurs, de formateurs et d’assistants sociaux.»Après avoir côtoyé tant de malfrats, Rudy Vandorpe ne désespère pas de la nature humaine. «Tout n’a pas été rose et violette, il m’est arrivé d’être agressé et insulté, mais j’ai noué des relations humaines; ce qui est le plus important. La prison de Tournai n’est pas la pire du royaume, loin de là… Avec sa position frontalière, on y trouve pas mal de trafiquants de drogue. Pour certains, c’est un jeu et ils acceptent de faire régulièrement un séjour en prison…»Pour ceux qui souhaitent se procurer le livre, sachez qu’il est gratuit : «Je l’ai fait imprimer à 1 000 exemplaires et il n’est pas vendu, mais offert. D’ailleurs, j’en destine 200 exemplaires à mes ex-collègues. J’espère aussi qu’il sera lu dans les écoles et par tous ceux qui s’intéressent à la vie carcérale.»Pour recevoir le livre: jmilleville@hotmail.com -
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