Jean
Milleville est de ces hommes qui se racontent à livre ouvert.
L’ancien professeur de Saint-Henri, à Comines, n’a plus de craie
sur les ongles. Mais il connaît l’histoire de son entité sur le
bout des doigts. Et si on avait pu écrire ces quelques mots en
picard, c’eût été encore mieux.
Il
est 10 h, ce matin-là. Une belle lumière plane sur Comines. Jean
Milleville accélère : pas question d’être en retard pour
Clotilde, sa petite-fille, qui patiente devant le lycée. Elle vient
de plancher deux heures sur une épreuve d’histoire. « Le
congrès de Vienne », lâche-t-elle, un peu dépitée,
en grimpant dans la voiture. Jean Milleville sourit. Le congrès de
Vienne, 1814, Napoléon… Il connaît tout ça par cœur. Et
Clotilde d’assurer, catégorique : « Papi
m’impressionne. Il est toujours à fond dedans ! »
« Il a marqué l’histoire de l’école »
On
reste quelques instants devant l’institut Saint-Henri. « C’est
mon ancienne prison, vous savez », plaisante l’homme
de 70 ans. Ici, il a égrainé une carrière aussi belle que longue,
de 1965 à 2002. Il ne compte plus le nombre d’élèves passés
entre ses mains expertes de professeur de lettres et d’histoire.
« J’y garde d’excellents souvenirs.
Cela m’a énormément plu. » Michel
Vandellanoitte, un ancien collègue enseignant, va même plus loin :
« Jean a marqué l’histoire de
l’école par son engagement et dans la manière qu’il avait de
réussir à intéresser les enfants. » Une pédagogie
fondée sur le dialogue, l’écoute et la psychologie.
Jean
Milleville a toujours préféré la technique de « la
carotte » à celle du « bâton ».
Il se souvient de ces matins où il arrivait devant sa classe.
Vingt-cinq élèves l’y attendaient. « Et
tous avaient leur problème : un chien mort la veille, une sœur
malade, un père absent. À cette heure-là de la journée, le
congrès de Vienne, ils n’en avaient rien à foutre. J’ai
toujours commencé mes cours en déconnant. » En
déconnant, mais aussi en rivalisant d’ingéniosité pour trouver
des méthodes de travail ludique. Enrichir son vocabulaire ? Facile
avec Jean Milleville. « Je demandais à
mes élèves de répertorier vingt-cinq nouveaux termes par mois
qu’ils définissaient avec leurs propres mots. Puis je les
interrogeais. » Celui qui s’en sortait le mieux
gagnait un point de bonus. « Il m’est
arrivé plus d’une fois de mettre des 21/20. »
L’idée sous-jacente à tout cela : rendre l’apprentissage
amusant. Il en allait de la motivation de l’élève. « On
m’a souvent parlé d’élèves fainéants. Non. Ils n’étaient
juste pas déterminés. Une fois que l’on obtient ça, c’est
gagné, on peut soulever des montagnes. Regardez Mandela ! »
Historien local depuis 1990
Toujours
la bonne petite référence historique. C’est ce qui frappe le plus
chez Jean Milleville. S’il avoue son penchant pour la Révolution
française, son discours fait montre d’une culture qui dépasse les
frontières. « Je veux toujours en
savoir plus, apprendre de nouvelles choses»,
affirme-t-il. « Il est toujours occupé,
enchaîne Colette, sa femme. Faut
suivre… Parfois, c’est pénible ! » Une quête
du savoir, une recherche du temps perdu, qui s’explique en partie
par une enfance modeste. « Pour mes
parents, il s’agissait surtout de réussir à mettre quelque chose
dans la casserole. On me disait : tu feras ça, et c’est tout. »
Quand il n’est pas fourré au musée, Jean Milleville est plongé
dans ses lectures. Ou dans son travail de recherche. Oui, car Jean
Milleville est aussi historien local, depuis 1990, pour le compte de
laSociété d’histoire de Comines-Warneton
et de la région qui sort chaque année un tome. Jean
Milleville y écrit une chronique devenue célèbre, Au
fil des mois, ainsi que des articles traitant aussi bien
du théâtre à Warneton au XVIIIe siècle que du club
d’haltérophilie « folklorique »
de Comines.
« C’est
un travail qui me prend du temps. Il faut trouver les interlocuteurs,
croiser les sources, récupérer des photos… »
« L’histoire, c’est comme la
mécanique, ça doit être d’une précision infinie,
souligne Alain Pottel, président du musée de la Rubanerie de
Comines, et ami très proche. C’est la
plus grande qualité de Jean en tant qu’historien, son sens du
détail. C’est un vrai Cominois de souche. Il connaît l’histoire
de la ville par cœur. » Un vrai Cominois de souche
qui a grandi à Ten-Brielen, hameau de l’entité, et dont la
jeunesse fut bercée par les sonorités du dialecte picard. « Comme
le rouchi à Valenciennes, il existe le patois cominois. Une langue à
l’origine surtout utilisée par le monde ouvrier. Mes parents
parlaient patois, mes grands-parents parlaient patois. »
Garant du picard cominois
Dans
l’idéal, et pour coller au personnage, il nous faudrait achever
cet article en picard. Écrire « majaw » plutôt que « maison »,
par exemple. Jean Milleville nous en fait grâce. Et sort à la place
un dernier exemplaire du Vrai Canton,
petit journal de l’entité, écrit autant en patois qu’en
français par les soins de… lui-même. Avec ce bimensuel, Jean
Milleville se porte garant d’une langue qui, « s’il
n’y avait pas ces petits textes, ces petits poèmes ou ces
garlousètes (petites blagues) », aurait sans doute
déjà disparu. Et ça, c’est hors de question.
Jean
Milleville est tout ça à la fois. Un enfant de Comines qui rêvait
de devenir enseignant, un passionné d’histoire et de lettres à la
pédagogie clairvoyante, un journaliste local à la plume aiguisée,
un fan de sport ancien trésorier du club de foot local. « Un
homme actif, toujours en mouvement », résume son
entourage. Clotilde avait raison. Même à 70 ans, Jean Milleville
est toujours à fond.
ADRIEN
DELERUE la voix du nord
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