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14.12.13

Comines-Warneton - Jean Milleville, gardien des clés de l’histoire

Jean Milleville est de ces hommes qui se racontent à livre ouvert. L’ancien professeur de Saint-Henri, à Comines, n’a plus de craie sur les ongles. Mais il connaît l’histoire de son entité sur le bout des doigts. Et si on avait pu écrire ces quelques mots en picard, c’eût été encore mieux.

Il est 10 h, ce matin-là. Une belle lumière plane sur Comines. Jean Milleville accélère : pas question d’être en retard pour Clotilde, sa petite-fille, qui patiente devant le lycée. Elle vient de plancher deux heures sur une épreuve d’histoire. « Le congrès de Vienne », lâche-t-elle, un peu dépitée, en grimpant dans la voiture. Jean Milleville sourit. Le congrès de Vienne, 1814, Napoléon… Il connaît tout ça par cœur. Et Clotilde d’assurer, catégorique : « Papi m’impressionne. Il est toujours à fond dedans ! »

« Il a marqué l’histoire de l’école »

On reste quelques instants devant l’institut Saint-Henri. « C’est mon ancienne prison, vous savez », plaisante l’homme de 70 ans. Ici, il a égrainé une carrière aussi belle que longue, de 1965 à 2002. Il ne compte plus le nombre d’élèves passés entre ses mains expertes de professeur de lettres et d’histoire. « J’y garde d’excellents souvenirs. Cela m’a énormément plu. » Michel Vandellanoitte, un ancien collègue enseignant, va même plus loin : « Jean a marqué l’histoire de l’école par son engagement et dans la manière qu’il avait de réussir à intéresser les enfants. » Une pédagogie fondée sur le dialogue, l’écoute et la psychologie.
Jean Milleville a toujours préféré la technique de « la carotte » à celle du « bâton ». Il se souvient de ces matins où il arrivait devant sa classe. Vingt-cinq élèves l’y attendaient. « Et tous avaient leur problème : un chien mort la veille, une sœur malade, un père absent. À cette heure-là de la journée, le congrès de Vienne, ils n’en avaient rien à foutre. J’ai toujours commencé mes cours en déconnant. » En déconnant, mais aussi en rivalisant d’ingéniosité pour trouver des méthodes de travail ludique. Enrichir son vocabulaire ? Facile avec Jean Milleville. « Je demandais à mes élèves de répertorier vingt-cinq nouveaux termes par mois qu’ils définissaient avec leurs propres mots. Puis je les interrogeais. » Celui qui s’en sortait le mieux gagnait un point de bonus. « Il m’est arrivé plus d’une fois de mettre des 21/20. » L’idée sous-jacente à tout cela : rendre l’apprentissage amusant. Il en allait de la motivation de l’élève. « On m’a souvent parlé d’élèves fainéants. Non. Ils n’étaient juste pas déterminés. Une fois que l’on obtient ça, c’est gagné, on peut soulever des montagnes. Regardez Mandela ! »

Historien local depuis 1990

Toujours la bonne petite référence historique. C’est ce qui frappe le plus chez Jean Milleville. S’il avoue son penchant pour la Révolution française, son discours fait montre d’une culture qui dépasse les frontières. « Je veux toujours en savoir plus, apprendre de nouvelles choses», affirme-t-il. « Il est toujours occupé, enchaîne Colette, sa femme. Faut suivre… Parfois, c’est pénible ! » Une quête du savoir, une recherche du temps perdu, qui s’explique en partie par une enfance modeste. « Pour mes parents, il s’agissait surtout de réussir à mettre quelque chose dans la casserole. On me disait : tu feras ça, et c’est tout. » Quand il n’est pas fourré au musée, Jean Milleville est plongé dans ses lectures. Ou dans son travail de recherche. Oui, car Jean Milleville est aussi historien local, depuis 1990, pour le compte de laSociété d’histoire de Comines-Warneton et de la région qui sort chaque année un tome. Jean Milleville y écrit une chronique devenue célèbre, Au fil des mois, ainsi que des articles traitant aussi bien du théâtre à Warneton au XVIIIe siècle que du club d’haltérophilie « folklorique » de Comines.
« C’est un travail qui me prend du temps. Il faut trouver les interlocuteurs, croiser les sources, récupérer des photos… » « L’histoire, c’est comme la mécanique, ça doit être d’une précision infinie, souligne Alain Pottel, président du musée de la Rubanerie de Comines, et ami très proche. C’est la plus grande qualité de Jean en tant qu’historien, son sens du détail. C’est un vrai Cominois de souche. Il connaît l’histoire de la ville par cœur. » Un vrai Cominois de souche qui a grandi à Ten-Brielen, hameau de l’entité, et dont la jeunesse fut bercée par les sonorités du dialecte picard. « Comme le rouchi à Valenciennes, il existe le patois cominois. Une langue à l’origine surtout utilisée par le monde ouvrier. Mes parents parlaient patois, mes grands-parents parlaient patois. »

Garant du picard cominois

Dans l’idéal, et pour coller au personnage, il nous faudrait achever cet article en picard. Écrire « majaw » plutôt que « maison », par exemple. Jean Milleville nous en fait grâce. Et sort à la place un dernier exemplaire du Vrai Canton, petit journal de l’entité, écrit autant en patois qu’en français par les soins de… lui-même. Avec ce bimensuel, Jean Milleville se porte garant d’une langue qui, « s’il n’y avait pas ces petits textes, ces petits poèmes ou ces garlousètes (petites blagues) », aurait sans doute déjà disparu. Et ça, c’est hors de question.
Jean Milleville est tout ça à la fois. Un enfant de Comines qui rêvait de devenir enseignant, un passionné d’histoire et de lettres à la pédagogie clairvoyante, un journaliste local à la plume aiguisée, un fan de sport ancien trésorier du club de foot local. « Un homme actif, toujours en mouvement », résume son entourage. Clotilde avait raison. Même à 70 ans, Jean Milleville est toujours à fond.


ADRIEN DELERUE la voix du nord  

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