L’accord budgétaire vient d’être signé et les réactions ne manquent pas. C’est surtout l’annonce du blocage salarial qui soulève de nombreuses questions. Bien entendu, il n’y a pas encore de textes et les propos qui suivent ne sont que des estimations et conjectures, mais ils ne sont pas lancés à la légère. Les négociateurs ont fait déjà de nombreuses déclarations (journaux, conférence de presse, émissions télé et radio,…). Et pour nous qui suivons cette matière depuis longtemps, ces déclarations permettent rapidement d’entrevoir les grandes lignes du prochain blocage des salaires.
Une comparaison avec la situation actuelle est également éclairante. Nous connaissons déjà une sérieuse modération salariale. Elle se fonde sur une loi de 1996 et en 2011, l’ancien gouvernement avait décidé, en application de cette loi, d’appliquer une marge salariale de 0% pour 2011 et de 0,3% pour 2012. À l’époque, les partenaires sociaux n’étaient en effet pas parvenus à déterminer eux-mêmes la marge salariale et le gouvernement était intervenu, d’une manière inhabituellement volontariste d’ailleurs. Et l’attitude du gouvernement s’est encore durcie lorsqu’il s’est agi de ne pas approuver les CCT sectorielles qui ne respectaient pas ces marges salariales (elles n’ont pas été rendues obligatoires), et ceci à la consternation des syndicats.
La nouvelle intervention sur les salaires ne peut donc que combler les lacunes de la législation actuelle. Et c’est également ce que confirment les différentes déclarations. L’objectif n’est en effet pas de faire une nouvelle loi, mais de modifier la loi de 1996 existante. Modifier revient ici à durcir…
Il est connu de tous que si cette loi de 1996 exerçait jusqu’à présent une certaine influence sur les négociations salariales au niveau sectoriel, les augmentations individuelles de salaire y échappaient totalement. Certes, la loi vise bel et bien les contrats individuels, mais sans prévoir la moindre sanction adéquate. Lors de la réforme du droit pénal social (le Code pénal social), on a même pu lire dans les documents parlementaires que ces sanctions étaient illégales.
De plus, la norme salariale est actuellement définie dans la loi comme « l’augmentation du coût salarial moyen par travailleur ». Il est donc possible d’agir sur le plan individuel si le coût salarial moyen n’augmente pas trop.
Et il y a encore l’astuce consistant à ne pas fixer les augmentations individuelles de salaire dans un contrat, mais de les attribuer de manière « unilatérale » (l’employeur distribuant par exemple quelques bonus à la fin de l’année, indépendamment de tout système salarial ou contrat de travail). De telles attributions unilatérales ne relèvent pas du champ d’application de la loi sur la modération salariale de 1996.
Lorsqu’on annonce un durcissement de la loi de 1996, ce sera sans doute sur ce point. Il s’agira d’empêcher d’encore attribuer des augmentations individuelles de salaire. Cela pourrait se faire en interdisant les augmentations individuelles de salaire, y compris de manière unilatérale, et en prévoyant un régime de sanctions en bonne et due forme. Même si le contrôle ne sera pas une sinécure…
Avec la version actuelle de la loi sur la modération salariale, il est encore possible de structurer une augmentation individuelle de salaire de manière parfaitement légale, mais la nouvelle version va sans doute la rendre explicitement illégale.
Et quelle forme pourraient prendre les sanctions si l’on ne respectait pas cette nouvelle obligation ?
Une possibilité consiste à emprunter la voie classique et y associer des sanctions pénales, mais c’est une recette qui fonctionne rarement. Depuis 1996, aucun procès-verbal n’a été établi par un inspecteur pour non-respect de la norme salariale.
On peut également procéder de manière plus intelligente et par exemple lier l’octroi d’aides publiques au respect de la nouvelle norme salariale. L’accord budgétaire évoque ainsi une baisse des charges sociales que l’on pourrait lier au respect du blocage salarial, ou d’autres mesures du même type. Au plan sectoriel, une solution pourrait consister à sanctionner les CCT qui ne respecteraient pas la norme salariale.
Reste également à voir la manière dont le tout sera coulé dans le texte de la loi de 1996. Mais il est d’ores et déjà acquis que l’application de la norme salariale seraplus stricte, surtout au niveau individuel.
Les partenaires sociaux ont d’ailleurs toujours un rôle à jouer dans ce dossier. Ils peuvent encore fixer eux-mêmes la norme salariale dans les négociations sur l’AIP pour la période 2013-2014. Mais cette fois de manière plus contraignante. La loi actuelle de 1996 prévoit que les partenaires sociaux « tiennent compte de l’évolution du coût salarial dans les Etats membres de référence ». Tenir compte est naturellement un critère très vague, je peux m’imaginer que la nouvelle loi va prévoir qu’ils doivent en tenir compte. Qu’elle introduise par conséquent une obligation.
Jusqu’à présent, les syndicats considèrent d’ailleurs la norme salariale comme purement indicative. Autrement dit, on la respecte si on en a envie ou si on a la gentillesse de le faire. La nouvelle loi sera sans doute plus stricte. Peut-être laissera-t-elle encore de la marge pour certains secteurs, ou va-t-elle prévoir des exceptions (éco-chèque,…) ? Mais rien n’en atteste à l’heure actuelle.
Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à conclure un AIP, comme c’était déjà le cas fin 2010, le gouvernement devra à nouveau intervenir et fixer la norme salariale par AR.
En tout cas, l’index reste hors d’atteinte, tout comme les barèmes en cours. Quelle que soit son ampleur, l’indexation devra donc être appliquée. Et tous les systèmes salariaux existants pourront continuer à être appliqués.
Le blocage des salaires ne porte donc que sur les nouvelles augmentations et les nouveaux avantages salariaux, comme aujourd’hui, mais de manière plus stricte.
Les entreprises, qui sont en train d’établir leur budget pour l’année à venir, peuventprudemment tabler sur le fait qu’il sera impossible d’introduire légalement de nouveaux avantages. Bien entendu, nous devons encore attendre les modifications de la loi; on n’en est qu’aux supputations. Mais la tendance est claire. La loi ne se fera plus attendre longtemps, car les partenaires sociaux en ont besoin pour leurs négociations de l’AIP et celles-ci devraient commencer avant la fin de l’année.