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4.1.09

La Belgique est menacée depuis 178 ans




L'historien belge Vincent Dujardin analyse ici les raisons qui, selon lui, font que son pays connaît une période de forte instabilité. Mais, avec le recul de l'Histoire, il les relativise.

A quand faites-vous remonter les difficultés entre Flamands et Wallons ?


>> Dès la création du royaume en 1830, au congrès national, certains représentants flamands revendiquent la traduction en néerlandais de la Constitution. Et ce alors même qu'il n'y a pas de néerlandais standardisé mais plutôt différents dialectes. En fait, les premiers flamingants veulent simplement que leur culture ne soit pas sous-estimée.Mais on ne peut pas encore parler de difficultés entre Flamands et Wallons en 1830, le mouvement flamand ne naît que dix ans plus tard.

Ces querelles linguistiques vont-elles se prolonger ?

>> À l'époque le néerlandais est perçu, même par des flamingants, comme la langue de l'ennemi qui a occupé la Belgique. Alors que le français, c'est la langue de l'élite et la principale langue en Europe.C'est seulement à la fin du XIXe siècle que les deux langues sont considérées comme égales et que tous les textes législatifs doivent être traduits dans les deux langues.

Mais les revendications flamandes vont aussi s'accroître ?

>> Effectivement. En même temps que le néerlandais réussit à s'imposer, un mouvement flamand avec des revendications de plus en plus fortes se développe. Aux élections de 1936, un parti nationaliste flamand, le VNV, obtient même un score significatif avec pour slogan « België Kapott » (« au revoir la Belgique »).

Est-ce que Bruxelles est déjà aussi l'objet de revendications ?

>> Dans les années 60, les Flamands sont inquiets de voir une majorité de francophones s'installer autour de Bruxelles. Ils demandent le gel du recensement linguistique et organisent même de grandes marches revendicatives qui réuniront plus de 40 000 manifestants. Les Flamands obtiennent par les lois de 1962 et 1963 que les frontières linguistiques soient fixées une fois pour toutes. C'est ainsi que va commencer une « guerre de cinquante ans » autour de Bruxelles. Ce qu'on appelle aujourd'hui le problème « BHV » (1) date de cette époque.


Quelle est l'influence des voisins directs - Pays-Bas et France - dans ces rivalités ?

>> Le rayonnement des Pays-Bas n'est pas celui de la France. Les Flamands se sont toujours sentis identitairement un peu en danger. Cela va se traduire par exemple par l'affaire de l'université de Louvain en 1968. « Les Wallons dehors », pouvait-on alors entendre.

C'est quand même compliqué la Belgique...

>> Certains optimistes disent que le système belge est tellement compliqué que cela le rend indestructible ! Je ne sais pas s'il est indestructible mais il est certain qu'il est complexe. Prenez les partis politiques : à partir de 1968, les branches flamandes et francophones de chaque parti se sont peu à peu distancées à tel point qu'aujourd'hui il n'y a plus de parti unitaire. Résultat : les partis politiques ne défendent pas l'intérêt général belge mais d'abord et avant tout ceux de leur communauté.

La séparation des francophones et des Flamands vous apparaît-elle inéluctable ?


>> Dans toutes les périodes graves de notre histoire, on a observé un processus d'unité nationale. Celui qui dirait qu'en ce moment le plus grave problème en Belgique est « BHV » alors que nos grandes banques sont en difficulté et que la crise économique frappe déjà passerait pour peu responsable. Ce qui ne veut pas dire que la crise politique ne couve pas comme le montrent certaines péripéties récentes autour de nominations de bourgmestres dans la périphérie de Bruxelles.Mais l'Histoire de notre pays nous a aussi appris à relativiser les périodes de crise. En 1966, l'ambassadeur de France en Belgique écrivait déjà que la Belgique était en voie de disparition. Cela fait 178 ans que la Belgique existe et cela fait 178 ans que son existence est menacée.

Quand même la crise politique est sérieuse...

>> Oui. Un système institutionnel incohérent peut conduire à des accidents. Et avec des élections régionales en 2009 et fédérales en 2011, je pense qu'il est plus difficile de trouver des solutions à la réforme de l'État que si les élections étaient regroupées. Ce qui est inquiétant, c'est qu'aucune réforme de l'État n'a réussi à apaiser le mouvement nationaliste flamand.

Certains ont comparé la Belgique avec l'ex-Tchécoslovaquie. Qu'en pensez-vous ?

>> Je pense que la comparaison ne tient pas. Bratislava et Prague étaient bien identifiées alors qu'en Belgique il y a Bruxelles avec ce statut si particulier qui fait que la ville est quatre fois capitale. Entre la Tchéquie et la Slovaquie, l'endettement public, la justice, la Sécurité sociale étaient déjà en tout ou en partie séparés. Ce n'est pas le cas en Belgique. En fait, toute la question est de savoir si c'est l'État qui fait la Nation ou si c'est l'inverse. En 1830, le sentiment national belge était bien mince notamment dans les classes populaires. Il s'en est fallu de peu qu'on reste hollandais. C'est l'État belge qui a fait la Nation belge. Demain, est-ce le sentiment national flamand qui fera émerger un État flamand ? (1) Bruxelles-Hal-Vilvorde est un arrondissement à cheval entre Bruxelles et la Flandre. 150 000 francophones y habitent.


INTERVIEW et PROPOS RECUEILLIS PAR ERWAN GUÉHO publié par Nord éclair France

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