En
Wallonie, 31,5 % des bénéficiaires du revenu d'insertion ont entre
18 et 25 ans. Ils sont 27,4 % à Bruxelles et 26,9 % en Flandre.
Parmi eux, un certain nombre d'étudiants. Philippe Defeyt,
économiste à l'Institut pour un développement durable et président
du CPAS de Namur, vient de faire le point sur ces jeunes
bénéficiaires d'un revenu d'intégration étudiant (ou RI
étudiant).
L'étude
met en évidence des chiffres extrêmement
différents selon les communes
concernant la mise aux études des 18-25
ans (Exemples : 0 % à Jemeppe-sur Sambre,
100 % à Ouffet, 50 % à La Louvière,
19 % à Charleroi...). Quatre raisons :
1. Le niveau socioculturel de la population varie très fort d'une
commune à l'autre. 2.
Un pourcentage important de jeunes qui font
des études n'est pas nécessairement positif
s'ils aboutissent à des échecs. 3.
il existe des filières d'insertion RI étudiant non
reconnues, comme la promotion sociale.
4.
y a des choix différents d'un CPAS à l'autre,
en fonction des conseillers, de leur idéologie,
de leur parcours...
Qui
sont ces jeunes qui émargent au CPAS ? Philippe
Defeyt : «
En dehors de quelques
jeunes
de milieux privilégiés, l'immense majorité
que nous aidons sont désargentés, sans soutien, issus d'une cellule
familiale déglinguée. Ils
nous
disent : 'Mon père s'est mis en ménage avec
une
femme qui ne veut pas me voir. Ma mère vit
dans
un petit studio ; chez elle, je dors dans le canapé'. Les parents
eux-mêmes n'ont pas d'argent,
sont
déjà aidés par le CPAS. Parfois, le jeune fait
des
conneries...Pour
d'autres, la seule difficulté notable, c'est le
manque
d'argent parce que leurs parents n'en
ont
pas ou ne s'occupent pas d'eux. Ou parce qu'il
n'y
a plus de parents. Ceux-là sont sans argent,
mais
ont les capacités d'entamer ou de poursuivre
des études. J'insiste, de tous les systèmes
d'activation
dans les CPAS (trouver un emploi,
suivre
une
formation , un stage d’insertion ou encore des études) Le revenu
d'intégration étudiant est un de ceux qui marchent le mieux. Le
taux de réussite est relativement correct .»
Quitter
ses parents et recevoir presque automatiquement l'aide du CPAS, c'est
possible ?Ph. D.:
«
Non ! Contrairement à l'idée qui traîne
encore,
croire qu'il suffit qu'un jeune vienne
frapper
à la porte du CPAS pour ressortir avec
un
chèque en main est totalement faux. Des
jeunes
pensent que parce qu'ils se sont disputés
la
veille avec leur maman, c'est la fin du monde,
le
drame absolu, mais ce n'est pas un critère pour
obtenir
le revenu d'intégration. Comme pour
n'importe
quelle personne en difficulté, il y a enquête
sociale. Et dans le cas des jeunes qui vivent
toujours
chez leurs parents, ce qui est le cas de
l'immense
majorité d'entre eux, une question
est
posée : y a-t-il de bonnes raisons pour qu'ils
revendiquent
leur autonomie ? »
Le
CPAS contacte-t-il les parents ?
« Dans
certain cas, c'est possible. Les parents peuvent donner leur avis,
mais c'est nous qui tranchons, dans un sens ou dans l'autre.
Et puis, de temps en temps,
nous avons des coups de
fil de parents qui n'ont pas de nouvelles de leur
enfant. Ils nous questionnent, mais la réponse est
invariable : nous ne pouvons rien dire. Ni que
le jeune dépend de nous, ni
même qu'il est venu
s'informer. C'est le secret
professionnel absolu. Ceci
dit, on n'exclut pas qu'il puisse y avoir un
avis différent des parents
et du CPAS. On a affaire à une matière humaine, on peut se tromper.
Et comme un père et une mère peuvent se laisser
embobiner par leur jeune, le CPAS aussi peut
parfois être embobiné par
un jeune qui présente les
choses à sa manière... »
Certains
CPAS poussent-ils aux études ?
PH.
D. : « Ce n'est pas
nécessairement comme cela
que les choses se passent ! On essaie de trouver
pour le jeune la meilleure solution qui n'est
pas toujours de faire des
études. S'il n'a pas les
acquis voulus, par exemple,
dire oui à un projet
d'études amènerait un
nouvel échec. Attention :
une partie importante des jeunes ne
va pas entamer des études,
mais les poursuivre. Un
jeune de 18 ans qui n'a pas terminé le secondaire,
par exemple, va demander de l'achever.
Enfin, soyons modestes : les
CPAS n'ont pas les
compétences voulues en matière d'orientation
scolaire, d'accompagnement scolaire...
Ils doivent s'entourer de
conseillers compétents. »
Et
s'il rate ? Peut-il recommencer ?
Ph. D.
: « Vous
mettez là le doigt sur une
question très lourde pour
les conseillers du CPAS. En effet, en janvier, on peut se rendre
compte que cela flotte... On
est comme des parents, on se
pose les mêmes questions :
'Pourquoi ? Il
ne va pas
aux cours ? Il a du mal à se situer ?
Il a été
mal orienté ?'. En juin, le
résultat est négatif et,
comme les parents de
nouveau, on attend septembre : le taux de jeunes qui réussissent
généralement en juin est devenu extrêmement faible,
il n'y a pas de raison que
notre public ne suive pas
les mêmes tendances. Arrive
donc le moment fatidique
de l'échec. On essaie de revoir le jeune,
on tente de comprendre ce
qui s'est passé et on se
pose de nouveau les mêmes
questions que dans toutes
les familles : l'autoriser à redoubler, changer
d'orientation, passer de l'unif à un bac ? On
renvoie le jeune vers un
test d'orientation... et on
tranche. toujours comme des
parents. »
Vous
dites que le CPAS
doit appliquer une forme d'équité... À propos des autorisation
d'études ?
Ph. D.
: « Il faut une forme d'équité
entre ceux qui
sont dans nos CPAS et ceux qui n'y sont pas,
mais ont des revenus presque
aussi bas. On doit affronter
cette réalité : je pense que dans un certain
nombre de cas, d'un point de vue financier,
des jeunes aidés par nos
CPAS ont au moins autant, voir plus de facilités que des jeunes
issus de
la classe moyenne inférieure. Des jeunes dont
les parents trinquent, qui
n'ont pas la possibilité de
permettre à leurs enfants de redoubler ou de
recommencer dans une autre
filière. Et la seule
manière d'assurer cette équité-là,
c'est que la Fédération
Wallonie-Bruxelles joue son
rôle, prenne ses responsabilités au travers de
bourses d'études et de
règles qui devraient être
les mêmes pour tout le
monde (on peut ou non
recommencer, si oui, combien
de fois, à quelles
conditions...). »
Le
contrat du jeune étudiant impose t-il un travail ?
« C'est
un principe, mais chaque CPAS l'interprète à sa manière. Une autre
manière
pour un jeune de
renvoyer l'ascenseur à la
société qui lui permet de
faire des études pourrait
être le volontariat. En effet, un travail d'un
mois durant les grandes vacances peut être un vrai
handicap pour celui qui passe une seconde
session. Mieux ! Les jeunes
qui s'en sortent bien
pourraient aussi aider un
autre jeune, en tant que
coach ou 'grand frère'. J'aimerais qu'on réfléchisse dans ce
sens-là, plutôt que d'imposer le
mois de travail qui peut
être lourd. Ceci dit, le
changement de règles du
travail étudiant, qui
autorise un étalement des
heures pendant l'année,
permet de fonctionner différemment.Si le jeune travaille un
mois, il ne touche pas de revenu d'intégration. Par contre, si le
travail est étalé, le CPAS peut interpréter les règles. Et il y a
des interprétations différentes de la même règle. »
Quel
est le montant d'un revenu d'intégration étudiant ?
Ph. D.
: « C'est un revenu
d'insertion comme un
autre. Si l'étudiant est cohabitant, vit par
exemple avec une maman dont
les revenus sont tout
petits ou qui touche elle-même un revenu
d'intégration, il aura 528
€ par mois.
S'il est
autonome et isolé, il touchera mensuellement 785 € et ses
allocations familiales. De quoi s'en sortir plus ou moins bien, en
fonction du coût du kot social ou non, d'une bourse éventuelle,
de l'aide d'un établissement scolaire... »
Peut-il
y avoir récupération du revenu d'intégration auprès des parents
Ph. D.
: « Le CPAS peut estimer qu'il
est matériellement et humainement possible que des
parents assument
financièrement leur enfant.
Ce dernier doit alors
introduire une demande de
pension alimentaire via la
justice. S'il n'obtient pas
satisfaction, le CPAS peut récupérer lui-même
le revenu d'intégration étudiant auprès
des parents
Propos
recueillis par Thérèse Jeunejean
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